Bernard Charbonneau (1910-1996) a eu dès sa jeunesse la conviction que son siècle serait en même temps et pour les mêmes raisons celui du totalitarisme et du saccage de la nature. Pas de liberté sans puissance d’agir ; mais dans un monde fini le développement indéfini de la puissance matérielle et de l’organisation sociale risque d’anéantir la liberté de l’homme. A partir des années trente et jusqu’à sa mort, Charbonneau a réfléchi sur les dangers qui résultent, pour la nature et pour la liberté de ce qu’il appelait la Grande mue, c’est-à-dire de la montée en puissance de plus en plus rapide du progrès technique, scientifique et industriel. Mais on se fourvoierait en réduisant l’œuvre de Charbonneau à une réflexion sur l’écologie politique.
Il ne s’est pas intéressé seulement à la question écologique ; son œuvre nous propose une analyse plus vaste des coûts de la modernisation et des contradictions du monde moderne. Pendant longtemps cette préoccupation a fait de lui un marginal dans le monde intellectuel. Cependant, Charbonneau voyait juste lorsqu’il annonçait la crise écologique, l’aggravation de la bureaucratisation de l’existence et la technocratisation de la vie sociale. Plus le temps passe et plus son œuvre s’avère pertinente et actuelle.